Pérou III : en route vers le nord

A Lima, même à 2h du matin quand j’arrive, il fait chaud et humide. Je descend de l’avion et je croise déjà des amis de Francisca qui viennent pour le festival de Chincha où ils vont jouer. Je voulais aller dans le même hostal qu’eux mais sur Internet il affichait complet. J’avais donc réserver un autre hostal. Le Point Hostal. C’est un “party hostal”. Le concept c’est une sorte d’auberge pas trop cher (mais pas trop bon marché non plus) avec pleins de dortoirs et un bar. Tous les soirs, il y a des activités plus où moins alcoolisées et vers 2h du matin, les gentils organisateurs de l’hostal emmènent la troupe de joyeux touristes, l’œil luisant et les joues rougies, dans différents clubs/bars/concerts de Lima. Bref, c’est pas le top pour se reposer, mais bon on peut y rencontrer du monde rigolo et en plus c’est à côté de là où logent mes amis chiliens.

Cette fois-ci, j’apprécie plus Lima. Je reste pas si longtemps mais je ne m’ennuie pas, je rencontre des gens, je vois Francisca et sa troupe de danseuses et j’arrive aussi à passer un peu de temps avec Amrta. Amrta, c’est un ami DJ que j’avais rencontré en Bolivie à un festival et que j’avais recroisé par hasard dans les rues de Cuenca. On se retrouve en ville pour se balader, boire des bières puis je rejoins Francisca et ses amis pour passer la soirée ensemble. Ils décident d’aller jouer dans la rue. Les musiciens sortent les tambours et les danseuses se mettent à danser. Le style est “afro-madingue”, c’est tout plein d’énergie et impressionnant. Les filles se relaient pour danser. Les musiciens jouent sans s’arrêter. C’est intéressant de voir ce groupe de chilien fascinés par la culture africaine, sa musique et sa danse. Ils en connaissent un paquet sans jamais y avoir mis les pieds. Le chapeau tourne pour financer leur voyage. Les badauds se joignent à la danse ou encouragent les artistes en frappant des mains. Ca met une belle ambiance sur la place de Barranco! Forcément, vu comme ça, Lima devient bien plus attrayant que tout seul à ne pas savoir qu’y faire. J’y passe quelques jours avant d’aller à Chincha rejoindre Francisca et son groupe de danse.

 

Chincha, c’est pas une jolie ville. Les bâtiments sont laids, les rues poussiéreuses. Il n’y a presque aucun attraits à cette ville. Elle est pas loin de la mer, mais elle n’est pas côtière non plus. Elle grouille de gens et d’odeurs par contre. C’est le cœur de la culture afro-péruvienne et il paraît que la cuisine y est particulièrement gastronomique. L’intérêt de cette région c’est donc sa culture, la fusion entre la culture afro, des descendants d’esclaves importés par les Espagnols, et la culture péruvienne. Cette année est la première édition du festival international de folklore de Chincha. Alors c’est vrai, d’habitude je suis pas un amoureux inconditionnel des festivals folklorique. Les bals trads en France, je suis pas un habitué enthousiaste. Mais là c’est chouette, y a de la couleur, des musiques différentes, les gens sont heureux, les danses variées… Et puis y a aussi mes amis du Chili qui sont là. C’est eux la grande (unique ?) raison de ma venue ici. Pour passer un peu plus de temps en leur joyeuse compagnie. Pour ce premier festival international de folklore de Chincha, des compagnies (de danse surtout) sont venues d’Argentine, du Chili, de tout le Pérou, d’Equateur, de Bolivie et présentent toutes différents types de danses. Le jour où j’arrive il y a un “pasa calle” : toutes les compagnies déambulent dans la villes et performants quelques morceaux choisis de leur art. J’accompagne donc le groupe de Francisca (Ensamble Estación) en faisant du soutien technique. En gros je film et j’apporte à boire au fur et à mesure. Les compliments pleuvent drus, les gens apprécient beaucoup l’afro maringue. Il faut dire que c’es tassez impressionant et très énergique comme type de danse. Ici – j’ai l’impression que c’est presque un trait commun en général en Amérique Latine – les gens s’interpellent par nationalité (ou, aussi, souvent, par caractéristiques physiques). Donc le long du pasa calle, les gens demandent d’où vient le groupe et encourage ensuite de grands “¡Vamos Chile!” ou “Gracias Chile” comme si chaque compagnie ici représentait leur pays d’origine, un peu comme dans une compétition sprotive.

Après le pasa calle, je fais partie de la troupe. Sans le vouloir, tous les membres me sont “très reconnaissants” parce que je les ai un peu aidé. Entre nous, j’ai vraiment pas l’impression d’avoir fait grand chose, mais bon. Du coup je commence à vraiment mieux connaître toute la troupe et c’est quand même une belle bande de personnes trop chouettes ! Le deuxième soir, ils me font venir dans le gymnase où se déroulent les spectacle. Assistant technique encore une fois : je fais partie de la troupe alors je paye pas l’entrée, personne ne pose de question, j’ai l’impression d’être un peu une fraude mais j’en profite quand même. Après les spectacles et le souper, vers 1h du matin, on s’embarque pour aller à une fête importante de la communauté afro-péruvienne de El Carmen. J’insiste sur le côté afro-péruvien parce qu’il paraît que c’est une célébration qui leur est bien particulière. On arrive donc en pleine nuit, il y a beaucoup de gens, il faut faire la queue pour rentrer. Tout le monde bois de la bière, on entend de la musique, des gens dansent entre les voitures garées. On paye l’entrée et on finit par réussir à se glisser dans l’enceinte où se déroule la fête, la Yunza negra de Mamaine. Tout le monde est sur son trente-et-un et je me sens un peu pouilleux avec ma chemise toute déchirée (elle s’est ouverte en deux dans le dos dans le taxi pour venir). Le principe de la fête : il faut faire venir quelques milliers de personnes, des groupes de musique, beaucoup de bières, une scène avec un bon équipement de son ; sur les quelques milliers de gens sur place, la moitié doit savoir bien dansé ; alcooliser tout le monde et avoir deux arbres assez grands avec plein de cadeaux accrochés dessus dans l’enceinte de la fête ; toute la nuit, à tout de rôle, les fêtards qui le souhaitent, donnent des coups de haches et de machette dans l’arbre jusqu’à ce que celui-ci tombe ; puis attaquer le suivant. Celui qui donne le coup de grâce du deuxième arbre doit, en théorie, organiser la yunza de l’année suivante. Donc, il faut imaginer plein de gens bien saoul, qui dansent sur de la musique live en buvant de la bière, une foule dense au milieu de laquelle, à un moment, on entend “cuidado cuidado” et bim, tombe un arbre. Surprennamment, il semble qu’il n’y ait pas de blessés ni de morts. Une sacrée fête, drôle d’expérience. Plusieurs personnes me grondent gentillement parce que je ne danse pas et me montre ensuite comment faire pour danser. Je suis pas sûr de retenir bien la leçon, mais c’est gentil de leur part.

 

J’avance à petits pas, le cœur pompe et pompe et pompe. La tête me tourne parfois, le sang tape fort dans mes tempes, bom bom bom. Les jambes fragiles, un pas devant l’autre dirait mon père. Mon ventre se contracte, fait des bulles, joue à la guerre civile. J’ai l’impression de comprendre et de vivre l’expression “être soumis à un stress”. Mon corps tout entier est soumis à un grand stress. Et ce crâne qui rétrécit et le sang qui tape. Bom bom bom. Un pas devant l’autre. Ca grimpe. La pluie vient et repart, le vent fouette, il fait froid. Les montagnes s’élancent vers le ciel mais se perdre bien vite dans les nuages et le brouillard. On apperçoit à peine les glaciers qui sont pourtant, paraît-il, fort nombreux. Il y a environ 600m de dénivellé à monter, tout droit, jusqu’au lac, on est entre 4000 et 4600m et je ressens vraiment les effets de l’altitude.

C’est le cœur lourd que je suis reparti de Chincha, ville si laide et poussiéreuse, mais où j’aurai passé un si bon moment. Intense et tout comme il faut avec sa chaleur, ses danses, ses amis… Direction Huaraz. Yoris m’avait dit que c’est une superbe région avec de belles montagnes. En plus j’allais y rejoindre Ramouche et Ombline, des amis de Montreux que je n’ai pas revu depuis longtemps. Les retrouvailles sont joyeuses : on se promène, on se raconte nos vies, on boit des canons, on se fait des apéros-tarots. De toutes façons, c’est la saison des pluies : il fait froid et il pleut tout le temps. On veut quand même visiter un peu la région alors on s’organise un petit tour vers la fameuse Laguna 69.

On part en bus à 5h du matin. Dans le bus une Américaine passe trois heures d’affilée à parler à sa voisine. Impressionant le débit de parole. Ramouche pense qu’elle voyage seule et a besoin de vider son sac sur la première âme venue. Je pense qu’il a raison. Petite pause à 7h et quelques pour boire un maté de coca et c’est reparti, à l’assaut de la montagne. Le temps ne se découvre pas mais le paysage reste grandiose. On passe dans une sorte de canyon étroit, le parois abrupte et on tombe sur un premier lac couleur turquoise. Le lac est bordé d’arbres particuliers : leur écorce ressemble à du papier rouge. Finalement le bus nous laisse au début du chemin qui monte et monte dans le vent et la pluie jusqu’à environ 4600m d’altitude. Arrivé en haut, après une belle montée où mon organisme s’est fait bien malmené par les effets de l’altitude, on découvre un autre lac turquoise, entouré d’éboulis et de falaises surmontées de glaciers qui se perdent dans les nuages. Au-dessus, entre les bancs de nuages, on devine des arrêtes aiguisées, des pentes vertigineuses. On attend une éclaircie, que les nuages se déchirent et nous offrent le paysage en entier. Mais ça n’arrive pas. Ca reste très beau. On pic nic et on repart. Le mal de crâne s’intensifie en descendant, c’est pas normal. Il pleut, il vente, il arrête de pleuvoir et ainsi de suite. Ramouche aussi à mal au crâne. Ca n’arrête pas. Finalement ça commence à s’estompant en arrivant dans la vallée. Au bout, une petite remontée et le mal de crâne revient et empire. Le soir, en rentrant à Huaraz, on se rend compte que malgré les nuages on a bien pris des couleurs. La fatigue, le soleil, le froid, tout cela a dû concourir pour ce mal de crâne lancinant. Une bonne nuit de sommeil et ça devrait passé.

Je ne sais pas trop où aller. Ramouche et Ombline repartent. C’était chouette de les voir, de passer du temps avec eux. Je ne vais pas rester à Huaraz, il fait trop froid et trop moche. Mais où aller. J’ai fini par accepté l’idée que mon terrain sud-américain est un échec. Je me concentrerai sur le terrain à Montréal et je dois essayer de profiter du reste du voyage tout en essayant d’avancer dans mon traitement de données, peut-être visiter d’autres communautés, si j’en trouve. Mais où aller ? Et pour y faire quoi ? Il y a des moments comme ça dans un long voyage. Des moments à vide. Des moments gris où on sait pas trop que faire. Je n’ai plus de buts et d’objectifs. Et je ne sais pas non plus de quoi j’ai envie. Finalement je décide d’essayer d’aller à Cajamarca et à son carnaval, réputé être le plus rigolo du Pérou. Ca commence mal, sur Internet, il n’y a aucun hôtel, hostal et autres auberges avec des chambres de libres. Je demande autour et les gens me disent que si j’ai pas déjà réservé de chambre, c’est mieux de pas y aller. Je décide d’essayer quand même, j’ai une tente après tout et ça me tente de voir ce carnaval. Par contre, à la gare de bus de Huaraz, on me prévient que tous les bus pour Cajamarca sont plens. Je prends un bus de nuit pour Trujillo en me disant que de là-bas je devrais bien trouver des bus. J’arrive au tout petit matin et non, tous les bus sont pleins. Je vais prends donc un autre bus pour Chiclayo. Myriame m’a dit que la ville avait un des meilleurs marchés de sorcière qu’elle ait vu au Pérou. Arrivé là-bas, je demande, par acquis de conscience et non, tous les bus pour Cajamarca sont pleins. Ca doit être une sacrée fête là-bas ! Donc je reste à Chiclayo. Après Huaraz, c’est un choc thermique ! Il fait très chaud. Très très chaud. C’est bien aussi ! Chiclayo, c’est pas une belle ville. Par contre c’est une ville très péruvienne et vraiment pas très touristique. En effet, son marché est vraiment grand et beau. Pleins de choses différentes, des vêtements, de la nourriture, des épiceries, des marchandises en tous genre et une grande partie “sorcière” et naturaliste. Je passe plusieurs heures à déambuler dans le marché, à l’explorer. Et puis je par à la recherche du fun, des bars. Je tombe sur un bar à bières de microbrasseries tenus par un couple amoureux de bières. Je passe la soirée à discuter et sympathiser avec les tenanciers. Le lendemain je vais visiter le musée du Seigneur de Sipan pour mieux découvrir l’histoire pré-Inca de la région. Ca a l’air d’avoir été une société bien hiérarchique avec beaucoup d’artisanat. Ils savaient faire du plaqué or et quand les Espagnols sont arrivés pour piller les richesses, ils ont dû être dégoûtés quand ils ont vus que c’était du toc !

Comme la montagne ne m’a pas trop réussi, entre le mauvais temps, le froid et, pour Cajamarca, les difficultés d’accès, je décide d’aller à la plage me poser une bonne semaine à glander et me remettre à bosser avant de retourner en Equateur. Je prends donc la direction de Mancora. Mancora, c’est une station balnéaire très touristique, autant d’un point de vue national qu’international. Mais j’arrive juste après la haute saison et, si Mancora n’est pas vide, c’est pas non plus la folie. J’arrive très tôt, juste au moment où le soleil commence à pointer le bout de son nez au-dessus de l’horizon. C’est le moment où les derniers fêtards s’attardent pour un dernier verre, déblatèrent leurs dernières conneries. C’est rigolo le contraste. Je me trouve une auberge sympathique, tenue par un Péruvien d’origine japonaise qui a pas mal bourlingué et qui est rigolo, bien qu’un peu “adolescent” à certains moments. Et c’est le début d’une dizaine de jours de fénéantise et de glande. Franchement, c’est pas mal. Je vais d’une plage à l’autre, je lis beaucoup, je fais des transcriptions. Il y a quelques Argentins dans l’hostal avec qui on boit des bières en jouant aux cartes. Je deviens presque un expert du Truco, un jeu où il faut mentir, voire tricher. Sato, le propriétaire de l’hostal, m’emmène en moto voir d’autres plages, manger dans des endroits pas touristiques. Pas loin de Mancora, il y a un lieu, El Ñuro, où il y a plein de tortues de mer. Donc je vais y voir. C’est presque émtionnel comme expérience de voir des tortues de mer. Par contre le setting fait un peu zoo, j’apprécie moins. Et donc la vie coule toute tranquille à Mancora, je lézarde entre la chaleur écrasante et les moustiques, les petites fêtes et un peu de travail, les promenades et les plages. Et puis au bout d’un moment, il est tant de repartir et je prends un bus, direction Equateur. Je découvre alors l’arrière-pays de Mancora, un arrière pays étonnant fait de collines sculptées par l’érosion, vertes, très vertes. Normalement c’est jaune sableux. Mais il pleut tout les soirs. Il paraît que c’est pas normal. Il y a aussi pleins de pompes qui pompent du pétrole hors du sol. Je pensais que ce serait plus apocalyptique que ça des champs de pétrole. Là, c’est presque mignon. Cela dit, il pleut tellement que mon trajet jusqu’à Loja se transforme en une espèce d’aventure…

De Mancora, je dois aller à Sullana où je dois prendre une correspondance pour la frontière puis Loja. Je n’arrive pas à savoir à quelle heure est ma correspondance, mais le trajet jusqu’à Sullana doit prendre 2h. Mais il pleut. Et puis à un moment on est arrêté. Des gens sur le bord de la route regarde le bus arriver en rigolant et en criant “Tu ne passeras pas tonton !”. Je ne comprends pas de quoi ils parlent. Et puis j’arrive à avoir une petite vue sur ce qui nous attend… Une rivière en crue, une extension de lac, un bout de mer. Mais, sans se démonter, le chauffeur fonce dans l’eau. Il y a bien un mètre cinquante de profondeur. Les passants sur le bord de la route explosent de rire et conseillent au passagers du premier étage de bien fermer leurs fenêtre. Le bus tangue, vascille, s’enfonce mais finit par ressortir. En bas, c’est la crue dans le bus. Mais à l’étage on est bien au sec. Cela dit, les roues ont pris cher et les gardes boues encore plus et bloquent les roues. On passe du temps à réparer. Il recommence à pleuvoir. J’ai l’impression que la route jusqu’à Sullana n’est qu’une longue et sinueuse rivière, des étangs et des marais. La saison des pluies, si inhabituelle ici apparemment, touche lourdement l’arrière pays. A Sullana, on me dit que mon bus est déjà parti depuis un bout de temps. Je cherche une solution et finalement j’apprends que mon bus n’est même pas encore arrivé ici et que je n’ai rien manqué du tout. Finalement il arrive et je monte dedans, je m’endors rapidement. A la frontière tout va très vite. Je rencontre un vieil Allemand bien allumé qui va aussi, bien sûr, à Vilcabamba et me propose de faire route ensemble une fois à Loja. A la frontière on apprend que la route vers Loja est coupée et qu’il faut attendre le matin pour repartir. On s’installe pour passer une mauvaise nuit dans le bus garé au chaud. Finalement au bout d’une bonne heure le chauffeur nous annonce qu’ils ont trouvé du pétrole et qu’on peut repartir par une autre route. On arrive finalement à Loja en milieu de matinée. Et, comme prévu, on fait le voyage ensemble avec Kayser, l’Allemand du bus, jusqu’à Vilcabamba. Il commence à me dire qu’il prie tous les jours pour Jésus, mais qu’il n’est pas religieux. Que les religions sont des fraudes qui pervertissent la vraie parole du fils de Dieu, fidèlement retranscrite dans la Bible, bien sûr. Je suis vraiment content d’enfin arriver à Vilcabamba et de me débarasser de ce gentil mais encombrant bonhomme aux discours tordus auxquels je ne peux adhérer. De retour en Equateur, à Vilcabamba. Je suis content de repasser ici, comme une boucle bouclée et le voyage qui semble déjà s’estomper…

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