Isla del Sol, soupe et truites

C’est un petit bateau, nous sommes une dizaine sur son toit. Les militaires postés à la sortie du port de Copacabana nous hèlent de leur promontoire parce que nous ne portons pas de gilets de sauvetage. Mais on fait semblant de ne pas comprendre et puis de toutes façons le pilote n’en a cure ! Le moteur sent la tondeuse à gazon et nous avançons tout doucement. Il fait très beau et l’eau du lac Titicaca reflète ardemment les rayons du soleil. Une brise froide souffle. Tout le monde est emmitouflé. Très rapidement tout le monde commence à parler. Enfin sauf mes compagnons de voyage qui se blottissent contre le froid et pour resserrer les liens humains qui les unissent. En fait, les Français sur le toit ne parlent pas beaucoup. Mais il y a un groupe d’Argentines et d’Urugayos qui ont bien la forme et se mettent à discuter de voyage, de vie et d’Amérique Latine. Très vite un Equatorien et un Colombien se joignent à la discussion, puis c’est le tour d’un couple de chilien. C’est un toit de bateau cosmopolite. Le voyage, qui ne doit durer que deux petites heures, en prends trois grosses mais il passe très rapidement en si bonne compagnie. Puis c’est l’arriver au port nord de la Isla del Sol, Challapampa.

On était partit le jour d’avant de La Paz. Sous un orage de grêle, de pluie, de vent. Les nuages noirs entassés sur la ville. Et puis le bus monte et monte pour rejoindre l’Altiplano, et le ciel se dégage et viennent les arc-en-ciel qui gracient la ville d’une élégance naturelle. L’Altiplano est plat. Il est herbeux avec des vaches et des llamas. Au fond du regard se dressent des montagnes et des volcans coiffés de neige. C’est un paysage qui donne envie de prendre un cheval (ou une moto) et de partir ainsi, traverser les étendues avec comme point de repère l’une des montagnes. Un drôle de sentiment. Et je n’y ai pas succombé. J’ai suivi la marche du bus et je suis arrivé avec mes compagnons de voyage à Copacabana. Tout au bout de la rue qui débouche sur le lac, sur la gauche, il faut marcher une grosse demie heure et on arrive au Sol y Luna, un camping avec des chambres, tout petit, tout végétarien. Mais nous, on a pris un taxis, on était cinq et paresseux. Sous la tente on a essuyé un bel orage. Et le matin c’était le départ pour la Isla del Sol.

Où nous sommes arrivés, donc, après un charmant voyage en bateau sur ce lac qui ressemble à une mer avec des vagues, de la houle et un horizon à perte de vue où le pauvre montagnard oublie sa condition et perd ses repères. Nous avons atterris dans un refuge, celui de Don Alfonso et de ses deux frères. Ce sont trois familles qui se partagent cet endroit particulier, perché au-dessus du lac. La vue est magnifique et les chambres rustiques et agréables. L’immense avantage de ce lieu est que nos voisins de chambre sont des gens formidables. Juan est Colombien est habite parfois en argentine, il voyage avec son vieux copain Jesus et son jeune copain Huayra. Ce sont des gens fondamentalement gentils, calmes et attentifs. Ils sont intéressants et intéressés. Juan a énormément voyagé dans sa jeunesse et il continue. Ils ont monter des lieux de vie en Colombie et un nouveau en Argentine. Ils y font de la permaculture et plantent des arbres. C’est en partie à cause d’eux que je suis resté plus d’une semaine sur cette île.

Enfin du repos. Le voyage, ce ne sont pas des vacances. Il faut visiter des choses, se lever tôt, trouver un logement, manger… La dure vie du voyageur. A la Isla del Sol, il fallait juste vivre et profiter du soleil, du lac, de la beauté du lieu et des amis extraordinaires. Se promener dans la montagne, se baigner dans l’eau froide. Le premier jour Juan nous initie au merveilleux monde de petite taille. A l’aide d’une loupe, nous passons une après-midi à retourner en enfance en observant les herbes et les insectes qui peuplent les bas fond du haut de l’île. Tout à fait impressionnant mais on pourrait s’y perdre. On découvre ensuite les ruines d’un “temple du soleil” avec une “table cérémonielle”. Je suis perplexe face à tout cela. C’est très beau et “tout plein d’énergies” mais de là à parler d’un “temple du soleil”, ça fait un peu Tintin ou l’Amérique Latine Disney. C’est trop plastique et certainement raccourci. Mais c’est bien beau. Une table en pierre, entourée de sièges en pierre au centre d’une petite prairie donnant sur le lac avec des îles désertiques et inhabitées en face d’une baie à l’eau turquoise. Un village en ruine, aux portes étroites et très basses. Du gazon à faire pâlir les anglais. Une colline au sommet parsemé de cairns. des criques isolées. Des montagnes hautes et couvertes de neige au loin. Une sacrée île. Une île sacrée.

Et voilà les jours qui passent. Des balades. Deux baignades. Un après-midi pirate en buvant du rhum sur la place. Le tour de l’île à pied, seul avec du reggae pour se détendre. Le chemin suit la crête à l’aller. On surplombe le lac. La marche à 4000m, c’est plus lent mais les vues en valent la peine. Le chemin ressemble à une route antique, pavée avec de jolies bordures. Il va tout droit et serpente le long du relief. Bien sûr, nous sommes en Bolivie alors il faut payer un péage pour traverser l’île à pied. C’est pas cher, heureusement, mais ça casse l’ambiance. Le côté sud de l’île est encore plus touristique. C’est un village d’hôtels perchés sur une crête où l’on peut manger des pizzas, surfer sur Internet, manger de la viande et tout et tout. Mais je n’y reste pas et je repars vers le nord en suivant la côte. Le centre de l’île est là où habitent la majeurs partie des îlotiers. C’est un pays de cultures en terrasse, d’ânes, de cochons avec des plages de sable fin baignées dans une eau turquoise glacée. C’est très beau.

Un petit moment de paradis, de repos. De rencontre avec des gens formidables et d’autres moins. Beaucoup de rires et de conversations profondes. Explorer l’utopie concrète et les dangers dystopiques de l’idéologie. Le monde merveilleux du tout petit et l’immensité des paysages du Titicaca. Et puis c’est le retour à La Paz. Il fallait bien partir sinon on y restait. Et puis le temps passe et je dois aller à Buenos Aires. Le retour à La Paz est bizarre, on change de planète. On retrouve la pollution et la circulation, la concentration de gens et les montées qui coupent le souffle. Mais aussi des amis, anciens et nouveaux. Et puis j’y reste pas longtemps : quelques jours plus tard je décolle en direction de Buenos Aires, retrouver Vio et découvrir cette ville dont on m’a tant parlé !

Et voilà queques photos : en trifouillant avec l’appareil, Huayra a réussi à me le réparer.

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